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Naissance de l'Irlande en 1916

 

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Il y a un siècle, le 24 avril 1916, lundi de Pâques, des nationalistes irlandais investissent les principaux bâtiments administratifs de Dublin. Un soulèvement improvisé et rapidement réprimé par les Britanniques. Il va pourtant ouvrir la voie vers l'indépendance. 

 

Le 24 avril 1916,

 

lundi de Pâques, vers midi, à la tête de quelque 150 hommes, Patrick Pearse prend possession de la Poste centrale de Dublin. Depuis le perron, le poète nationaliste proclame la fondation d'une République irlandaise devant des passants médusés, indifférents ou hostiles.

« Irlandais, Irlandaises. Au nom de Dieu et des générations mortes desquelles elle a reçu ses vieilles traditions nationales, l'Irlande, à travers nous, appelle ses enfants à se rallier à son étendard et lance le combat pour sa liberté. [...] Nous proclamons le droit du peuple d'Irlande à la propriété de l'Irlande, et au contrôle sans entraves de sa destinée ; le droit à être souverain et indivisible. La République d'Irlande est en droit d'attendre, et d'ailleurs elle le requiert, l'allégeance de tous les Irlandais et Irlandaises. La République garantit la liberté religieuse et civile, des droits égaux et les mêmes chances pour tous les citoyens. [...]En cette heure suprême, la nation irlandaise doit, par sa valeur, sa discipline, et l'acceptation par ses enfants du sacrifice pour le bien commun, prouver qu'elle est digne de la destinée auguste à laquelle elle est appelée. »

Ailleurs dans la ville, quatre bataillons de rebelles occupent des bâtiments dominant les points d'accès par où les troupes britanniques sont attendues, tandis que des barricades sont élevées et des tranchées creusées

Mais les insurgés ne parviennent pas à prendre le château de Dublin, siège de l'administration britannique, pas plus que les gares et les ports de Dublin et de Kingstown, au sud. Les quelques soldats et policiers présents dans la ville, pris au dépourvu, tombent sous les tirs des rebelles retranchés.

Mais, dès le lendemain, la loi martiale est proclamée et des renforts militaires britanniques commencent à arriver en grand nombre. Des combats intenses ont lieu au sud-est, près des minoteries de Boland tenues par les insurgés : ils empêchent les soldats débarqués à Kingstown d'entrer dans la ville par le pont de Mount Street, leur infligeant de lourdes pertes. De même, la bataille fait rage au sud-ouest où les rebelles occupent des bâtiments syndicaux (South Dublin Union) et tirent sur les troupes du camp de Curragh qui descendent à la gare de Kingsbridge.

Plus de 16 000 soldats - Anglais, Gallois, Écossais et Irlandais - sont déployés dans la capitale au fil des jours, ainsi que de l'artillerie lourde. Le mercredi 26, une canonnière remonte la Liffey et bombarde la Poste centrale et la Cour de justice. Les rebelles, équipés de fusils, ne peuvent riposter à cette distance ; au milieu des pans de murs qui s'effondrent et des incendies, plusieurs sont blessés ou tués, mais les autres tiennent bon.

Les premières réactions des habitants de Dublin sont mitigées. Si les femmes de soldats vilipendent les rebelles - en pleine bataille de Verdun, leur action peut être assimilée à une trahison -, beaucoup d'Irlandais, qui pensent que la révolte sera matée en quelques heures, en viennent au fil des jours à éprouver de l'estime à l'égard des combattants pour leur courage, d'autant que parmi eux on compte des personnalités connues et appréciées.

Le manque de logistique - de nombreux rebelles se retrouvent assiégés sans réserves de nourriture -, et l'insuffisance des plans stratégiques, jointes à des effectifs inférieurs à ce qui était prévu, condamnent les rebelles. Lorsque Pearse se rend le samedi 29 avril, plus de 450 personnes ont trouvé la mort, dont 132 soldats et 64 insurgés. Plus de 3 000 personnes ont été blessées, des civils en grande majorité, et quelque 300 bâtiments ont été détruits ou endommagés.

 

L'enjeu : le Home Rule Act

Liée au Royaume-Uni depuis l'Acte d'union en 1800, l'Irlande est parcourue tout au long du XIXe siècle par des courants nationalistes. A Londres, le gouvernement, tributaire du soutien des députés nationalistes irlandais, a bien fait voter à l'été 1914, peu après l'entrée en guerre du Royaume-Uni, une loi - le Home Rule Act - qui créait une assemblée à Dublin dotée de compétences législatives pour tout ce qui relève des affaires irlandaises. Toutefois, cette autonomie régionale ne remettait pas en cause l'unité du Royaume-Uni. En outre, la loi est suspendue à sa promulgation ; en raison du contexte international, il est décidé qu'elle n'entrera en vigueur qu'à la fin du conflit.

Le dirigeant des nationalistes irlandais John Redmond a souscrit à ces dispositions et encouragé les Irlandais à s'engager dans l'armée britannique. Cela ne va évidemment pas de soi, car le nationalisme irlandais s'est développé en réaction au pouvoir britannique en Irlande et à ses insuffisances. La demande d'une autonomie législative à l'intérieur du Royaume-Uni, le Home Rule, formulée dès les années 1870, est d'ailleurs perçue par certains comme une première étape vers l'indépendance.

Mais, du point de vue de Redmond, l'invasion d'une petite puissance catholique, la Belgique, par une puissance impérialiste, l'Allemagne, exige un engagement clair de l'Irlande sur le front européen, pour défendre le droit international et parce que la situation de la Belgique offre des similitudes avec celle de l'Irlande. Il cherche par ailleurs à démontrer aux autorités de Londres qu'elles peuvent compter sur le sens des responsabilités du futur gouvernement irlandais pour prévenir par la même occasion toute hésitation britannique susceptible de retarder la mise en oeuvre duHome Rule après la guerre.

Redmond caressait l'espoir que la fraternité des armes aiderait à résorber le fossé entre catholiques et protestants irlandais, qui apprendraient à mieux se connaître face à un ennemi commun. En effet, beaucoup de protestants craignent le Home Rule, par lequel ils deviendraient une minorité dans l'île, dont les libertés civiques et religieuses pourraient être menacées par un gouvernement nationaliste inféodé à l'Église catholique.

Quant aux mesures protectionnistes prônées par le Sinn Féin, petit parti ultranationaliste, elles signifieraient l'arrêt de mort des grandes industries - chantiers navals et industrie du lin - de la province d'Ulster, où vivent la plupart des protestants, si elles devaient être reprises par le Parti parlementaire irlandais de Redmond.

Dès 1912, les protestants d'Ulster lancent une vaste campagne de mobilisation pour démontrer leur attachement à l'union avec la Grande-Bretagne, menaçant de provoquer une guerre civile si Londres décidait de les assujettir à la majorité catholique irlandaise dans le cadre du Home Rule. Pour appuyer leur propos, ils fondent une milice, l'Ulster Volunteer Force, qu'une opération de contrebande en 1913 permet de doter de fusils achetés en Allemagne. En réaction, les nationalistes créent l'Irish Volunteer Force pour équilibrer le rapport de forces, et achètent à leur tour des armes allemandes.

A la veille de la Première Guerre mondiale, ces milices comptent respectivement 100 000 et 200 000 hommes. La situation est donc explosive, d'autant que le Parti conservateur britannique, allié, en Irlande, au Parti unioniste, attise délibérément les tensions en Irlande pour fragiliser le gouvernement libéral au pouvoir à Londres. Celui-ci en vient à concéder le principe d'un statut spécial pour le nord de l'île, en Ulster où vivent la majorité des protestants pro-unionistes - à définir par la suite -, pour rassurer les unionistes et désamorcer la crise.

Profiter de la guerre

C'est dans ce contexte que la frange radicale du mouvement nationaliste irlandais en vient à élaborer une stratégie rivale à celle de Redmond, qu'on accuse de s'être fourvoyé en soutenant l'effort de guerre britannique : de son point de vue, seule la force peut amener Londres à faire des concessions à l'Irlande.

Dès l'automne 1914, une minorité au sein de l'Irish Volunteer Force - quelque 12 000 hommes - rejette l'idée de s'engager dans l'armée britannique, affirmant qu'elle ne se battra que pour l'Irlande. En 1915, le Conseil militaire de l'Irish Republican Brotherhood (IRB), mené par Patrick Pearse, prend ses distances avec Redmond et conclut que la guerre offre une occasion unique pour arracher l'indépendance de l'Irlande, le gouvernement étant accaparé par les événements sur le front européen. Ils associent à leurs préparatifs Arthur Griffith, fondateur du parti républicain Sinn Féin, puis le dirigeant syndical James Connolly, chef d'une milice d'environ 1 000 hommes, l'Irish Citizen Army.

Roger Casement, ancien consul britannique né dans le comté de Dublin et membre du Sinn Féin, tisse des liens entre l'IRB et les dirigeants nationalistes irlandais aux États-Unis, ainsi qu'avec les autorités de Berlin. Il est convenu qu'un vaisseau allemand, naviguant sous pavillon norvégien, livrera 20 000 fusils afin d'armer la rébellion irlandaise.

En revanche, pour Patrick Pearse, figure de proue de l'insurrection, l'essentiel ne relève pas de ces considérations militaires. Poète exalté, il estime que les combattants, à l'instar des martyrs dont le sang versé a assuré le succès de l'Église primitive, doivent réveiller le peuple d'Irlande par le sacrifice de leur vie. C'est ainsi qu'un soulèvement est organisé pour le 23 avril 1916, le dimanche de Pâques, symbole d'une résurrection de la nation irlandaise.

Plusieurs contretemps compromettent toutefois ce plan. La marine britannique intercepte le navire allemand, privant les rebelles d'armes précieuses. Casement, débarqué sur les côtes irlandaises par un sous-marin, est arrêté le 21 avril. Les meneurs du soulèvement font alors passer le message de se préparer à agir le jour suivant, le lundi de Pâques, mais la nature clandestine de leur organisation ne leur permet pas de contacter tous les participants dans un délai aussi court. De ce fait, les insurgés sont beaucoup moins nombreux que prévu, et la rébellion est limitée pour l'essentiel à la région de Dublin. Au total, moins de 2 000 personnes y participent (majoritairement des Volunteers, dont une centaine de femmes et d'adolescents).

La radicalisation irlandaise

Plus que l'insurrection en elle-même, la répression britannique, sans être démesurée mais entachée de maladresses, contribue à retourner l'opinion publique irlandaise en faveur des insurgés. En effet, après quelques exécutions sommaires, dont celle d'un pacifiste notoire, par des soldats, les arrestations brutales et à grande échelle de sympathisants soupçonnés - plus de 3 500 - semblent excessives aux Irlandais, d'autant que la moitié d'entre eux sont rapidement relâchés, les autres étant emprisonnés en Grande-Bretagne sans jugement.

Quant aux meneurs, ils comparaissent devant des cours martiales à huis clos, ce qui suscite une certaine méfiance, tandis que la condamnation à mort de 90 rebelles paraît sévère. Les exécutions au compte-gouttes de 15 d'entre eux entre le 3 et le 12 mai exacerbent les tensions, car les Irlandais espérèrent à chaque fois une grâce qui n'arrive jamais. Le sort de Joseph Plunkett, qui épouse sa fiancée en prison la veille de sa mort, et de James Connolly, qui doit être amené devant le peloton d'exécution sur un brancard en raison de ses blessures, émeut aussi la population. La pendaison à Londres le 3 août 1916 pour haute trahison de Roger Casement, malgré une lettre ouverte de George Bernard Shaw et un appel du Sénat américain, frappe les esprits.

Le Premier ministre britannique Herbert Asquith comprend que la situation est en train de lui échapper et qu'elle va compromettre son allié Redmond, qui n'a eu d'autre choix que de condamner le soulèvement. L'Irlande tout entière risque de devenir une poudrière. Non seulement le recrutement de soldats irlandais se tarirait, mais il faudrait redéployer des troupes depuis le continent jusqu'en Irlande, alors même qu'elles sont plus nécessaires que jamais sur le front où, le 1er juillet 1916, la Grande-Bretagne s'engage dans la bataille de la Somme. Un terme est donc mis aux exécutions, et des négociations sur l'avenir de l'île sont ouvertes.

Cependant, malgré les efforts de Redmond, dont la santé décline, aucun accord ne peut être trouvé entre nationalistes et unionistes, ce qui le décrédibilise encore plus en Irlande. A l'inverse, les rebelles de 1916 ont le vent en poupe. En juillet 1917, le candidat du Sinn Féin Eamon de Valera, officier le plus gradé parmi les survivants du soulèvement, remporte la circonscription d'East Clare sur la côte atlantique.

En avril 1918,

quelques semaines après la mort de John Redmond le 6 mars, Londres décide d'instaurer la conscription en Irlande, en contrepartie d'un nouveau projet de loi sur le Home Rule. Cela cause un vaste tollé dans l'île, le Home Rule ayant déjà été concédé en 1914 sans cette condition. Une forte mobilisation à travers l'île rallie la population autour du Sinn Féin et de la lutte pour l'indépendance. Aux élections de décembre 1918, le parti républicain obtient 73 des 105 sièges en Irlande. Plutôt que se rendre au Parlement de Westminster, les députés se réunissent en janvier 1919 à Dublin en Assemblée (Dáil) pour proclamer la République d'Irlande. Mais Londres réagit vivement, conduisant à la guerre entre Anglais et Irlandais. C'est durant ce conflit (1919-1921) que s'accentue dans l'opinion publique internationale l'élan de sympathie pour les catholiques. Mais aussi que naît, parmi les survivants de Pâques 1916, l'Irish Republican Army (IRA) dirigée par Michael Collins. Le traité de Londres de décembre 1921 aboutit à la création de l'État libre d'Irlande : les 26 comtés du sud de l'île obtiennent le statut de dominion de l'Empire britannique, 6 comtés du nord-est demeurant au sein du Royaume-Uni. Il faut attendre 1949 et la création de la République d'Irlande pour que la situation se stabilise au sud de l'île.

En 1966, le cinquantenaire du soulèvement fut l'occasion d'une célébration univoque du courage des rebelles, dont le sacrifice avait permis la naissance d'un État irlandais indépendant. Mais il avait aussi légitimé la violence politique, ce dont l'IRA sut se prévaloir à partir de 1969. Après trente ans de conflit en Irlande du Nord, les commémorations de 2016 proposent une lecture plus nuancée et inclusive du soulèvement, afin de consolider les accords de paix en Irlande du Nord et de reconnaître la diversité des opinions au sud, en République d'Irlande.

Par Christophe Gillissen

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