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L’internement en Suisse, de 1914 à 1918,

 

Je propose le deuxième article d’une série de quatre sur les actions de la Croix-Rouge et de la Confédération helvétique, en 1914-1918, en faveur des prisonniers de guerre alliés blessés et malades. Sujet très peu traité. Le premier dossier concernait le rapatriement des personnels du service de santé des nations belligérantes qui furent identifiés comme « sanitaires ». Ce nouvel article intéresse les prisonniers de guerre de l’Entente, essentiellement les blessés et malades anglais, belges et français, qui furent internés sur le territoire suisse, de 1916 à 1918. A la suite d’un court rappel historique, j’ai inclus quelques notes, en marge avec mon sujet, sur le rapatriement, en 1915, des « grands blessés » alliés et allemands.

Amis suisses ! : Ces articles, sont pour moi l’occasion de marquer mon admiration pour l’œuvre des Suisses au bénéfice de nos sanitaires, de nos blessés, de nos prisonniers. Une œuvre considérable et scandaleusement peu connue en France. Je souhaite que mes « papiers » participent à cette redécouverte à l’aube du Centenaire de la Grande Guerre et permettent aux Suisses de vivre avec nous ces commémorations et de nous faire partager leurs fonds documentaires, leurs souvenirs et témoignages. Au-delà d’une œuvre de charité, l’internement en Suisse, a bien été une grande œuvre de fraternité à l’échelle européenne.

En guise d’Introduction

Avant 1914, les Suisses avaient déjà fait l’expérience de l’internement. Lors de la guerre de 1870-1871, les troupes françaises de l’armée de l’Est encerclées, furent rejetées vers la Suisse où elles durent être internées. Ainsi dès le 1er février 1871, plus de 2 467 officiers et 87 847 soldats de l’armée du général Bourbaki, appelés en Suisse, les « Bourbakis* », furent désarmés et accueillis par la Confédération. Ces troupes défaites traînaient à leur suite près de 17 897 blessés et malades qui furent soignés dans près de 200 ambulances suisses réparties tout au long de la frontière. Durant cette guerre les cimetières suisses se remplirent des dépouilles de 1701 soldats français.

(*). Sur les Bourbakis en Suisse : Gaudet-Blavignac R, L’internement des Bourbakis en Suisse, dans Le Brécaillon, bulletin de l’Association du musée militaire genevois, n°27, déc. 2006, p. 68-103 ; reprend les chiffres du rapport officiel du major Ed. Davall sur l’internement des troupes françaises en Suisse, Berne, 1873.

Dans sa première circulaire, en date du 15 août 1914, le comité international de la Croix-Rouge de Genève faisait connaître : « (…) Dès maintenant l’œuvre de la Croix-Rouge est appelée à une activité intense telle qu’elle ne s’est jamais produite jusqu’à ce jour. » Cette activité ne tarda pas à être mise en oeuvre. En octobre 1914, à la suite de renseignements provenant des camps de prisonniers relayés par les « sanitaires » libérés, le CICR tenta d’extraire des camps allemands et français, les « grands blessés » dont la mortalité était alors effrayante.

Dans le courant d'octobre 1914, le CICR se met en relation avec les gouvernements allemand et français en vue de l’échange, par l’intermédiaire de la Confédération helvétique, des prisonniers gravement blessés : « les grands blessés ». Au début de l’année 1915, le Saint-Siège fit une proposition analogue. En février 1915, un accord humanitaire d’échange de « grands blessés » était signé entre l’Allemagne et la France. Les transports d’échanges commencèrent le 2 mars 1915 et furent confiés à la Croix-Rouge suisse. De mars 1915 à novembre 1916, près de 2 343 allemands et 8 668 grands blessés français furent échangés via la Suisse. Ce système d’échange devait par la suite se tarir et être remplacé par l’internement avec rapatriement à l’issue d’une plus ou moins longue convalescence.

L’internement sanitaire en Suisse : les débuts (1915-1917).

Dès la mise en place effective du rapatriement des « grands blessés », en février 1915, un projet d’internement des prisonniers de guerre « moyens blessés » fit l’objet d’échanges diplomatiques entre les belligérants et la Suisse. Mais cette question de l’internement dépassait le cadre de la Croix-Rouge et ne pouvait être traité qu’à l’échelon de la Confédération (Conseil fédéral). Le 2 avril 1915, le projet d’accueil des « moyens blessés » s’élargissait aux « tuberculeux ». La Suisse pourrait ainsi devenir un vaste sanatorium d’accueil pour tous les soldats malades.

Le 1er mai 1915, un projet d’internement était soumis au Conseil fédéral suisse par un envoyé du Saint-Père, le comte Charles Santucci (**). Il s’ensuivit des négociations diplomatiques « longues et délicates » entre les gouvernements allemands et français qui aboutirent à la décision du 26 janvier 1916 d’un essai d’internement en Suisse de cent tuberculeux français et de cent allemands.

(**) L’Impartial, de la Chaux-de-Fonds, 11 juin 1915.

En janvier-février 1916, le gouvernement suisse organisa, sous la responsabilité du médecin d’armée et du service de santé de l’armée suisse, le service de l’internement ; ce qui conduisit :

  • Au choix des futurs internés relevant de catégories médicales définies (12 initialement). Ce choix était effectué dans les camps de prisonniers de guerre, par des commissions médicales neutres (suisses, danoises et suédoises) ;
  • La France et l’Allemagne devaient régler tous les frais de l’internement (logement en hôtel ou pension de famille, nourriture, traitements médicaux, fournitures pharmaceutiques, solde, habillement, etc.) ; toutefois, la Suisse, imposait le travail manuel rémunéré ou intellectuel (reprise d'études, du primaire à l'université);
  • Les internés restaient des prisonniers et les belligérants s’engageaient à rendre les évadés ;
  • Le système était étendu aux prisonniers ou internés civils.

Au 14 février 1916, 883 Français, dont 104 officiers étaient internés dans la région de Montana, Montreux, Leysin et de l’Oberland bernois tandis que 364 Allemands dont 3 officiers étaient accueillis dans les régions des Quatre-Cantons et de Davos. Ces premiers effectifs allemands furent complétés par l’arrivée de 117 Allemands, du 24 au 28 mars 1916.

La catégorisation médicale des internés (12 catégories en janvier 1916) fut étendue à 20, au 16 février 1916, pour être réduite à 18, en juin-juillet 1916. Parmi ces catégorisations, furent exclues : les affectations nerveuses ou mentales graves qui étaient du cadre du rapatriement ; l’alcoolisme chronique ; les maladies contagieuses. Toutefois parmi les internés arrivés en Suisse, certains d’entre eux, par suite d’une mauvaise catégorisation des commissions médicales neutres ayant opérés leur choix, étaient cependant susceptibles d’être rapatriés ; aussi, au 20 janvier 1917, 50 Allemands et 650 Français et Belges, civils et militaires furent rapatriés.

Vers les accords de Berne (1916-1918)

Le 24 février 1916, l’organisation et le fonctionnement de l’internement faisaient l’objet d’une communication officielle de l’Etat-major de l’armée suisse.

En mars 1916 - Les premières commissions itinérantes suisses se mettaient en route pour les camps de prisonniers de guerre pour effectuer le choix des internés.

Le 21 avril 1916, 12 000 places d’internés furent créées.

Mai 1916 – L’Angleterre se rattachait au système de l’internement.

Septembre 1916 – Etude de l’extension de l’internement aux civils, pères de famille, prisonniers de guerre « jeunes », prisonniers de guerre autrichiens, italiens, serbes, etc.

En 1917, l’idée directrice de l’internement avait été de faire de la Suisse un sanatorium. En parallèle tous les partenaires et les états belligérants travaillaient en toute discrétion à la signature d’un accord qui devait marquer un tournant, non seulement dans le concept de l’internement mais aussi dans celui des conventions internationales sur les prisonniers de guerre. Cet accord intéressait le sort des prisonniers valides (civils et militaires) qui avaient subi une longue captivité.

En décembre 1916, les belligérants étudièrent à titre d’essai la question d’un échange d’un groupe de prisonniers, captifs depuis plus de dix-huit mois, neurasthéniques (syndrome du barbelé) ou pères de famille. Ce plan d’extension de l’internement fut suivi d’effet, puisque le 4 avril 1917 étaient internés en Suisse 104 prisonniers père de famille français et, le 20 avril, un nombre égal d’allemands. Cette nouvelle orientation trouvait de l’écho au comité international de la Croix-Rouge qui adressait un appel aux belligérants, le 26 avril 1917, pour systématiser cette nouvelle pratique.

Tout au long de l’année 1917, tandis que l’internement fonctionnait sur les bases de 1916, les tentatives pour faire évoluer le projet des captifs de plus de dix-huit mois passaient de périodes d’espoir en périodes de déception.

Les accords de Berne, le protocole (24 avril 1918)

Enfin, le 19 janvier 1918, un projet d’accord fut ratifié par la France et permit au département politique du Conseil fédéral de présenter de nouvelles propositions qui conduisirent à la signature par les belligérants d’un premier accord de Berne du 15 mars 1918 qui fut suivi d’un protocole daté du 25 avril 1918, qui traitait de la plupart des questions intéressant les prisonniers de guerre, les internés civils, le rapatriement et l’internement. Cet important document fut ratifié par la France le 8 mai 1918.

Il intéressait – pour ce qui concerne l’internement en Suisse – les militaires (sous-officiers et soldats) en captivité depuis dix-huit mois (avant le 1er novembre 1916) à la signature de l’accord et ayant atteint l’âge de 48 ans. Ces anciens prisonniers étaient à rapatrier au plus vite (les premiers rapatriements intervinrent le 17 juin 1918) ; tandis que les officiers, captifs au long cours, devaient quitter les camps et être dirigés vers la Suisse pour y être internés. La concentration des officiers français internés s’opéra très rapidement à Interlaken ; le premier convoi français et belge arriva le 29 mars 1918.

A la suite du protocole de Berne tous les civils internés en Suisse furent libérés, hormis quelques restrictions nécessitant un accord belgo-allemand, ratifié par la Belgique le 6 mai 1918. Le 16 juin 1918, un premier train rapatria 800 civils français.

Le 29 avril 1918, conséquence du protocole de Berne, les Etats-Unis précisèrent leur intention d’obtenir de la Suisse « l’internement de blessés et de malades américains prisonniers de guerre et pour créer en Suisse, une station destinée à recevoir les grands blessés américains dont le transport dans les pays d’origine étaient trop difficile. » [Favre, III, 7] Des négociations germano-américaines débutèrent le 24 septembre et aboutirent le 13 novembre 1918, deux jours après l’Armistice…

La liquidation de l’internement

Le jour de l’Armistice, 25 614 internés étaient retenus en Suisse, parmi lesquels 12 555 français.

Dès le 13 novembre 1918, la France demanda en exécution des conditions d’Armistice (art. 10), le rapatriement sans délai de ses internés de Suisse. Il en fut tout autrement pour les internés allemands dont la France, état capteur, refusa le rapatriement. La Grande-Bretagne, elle aussi état capteur, accepta cependant le rapatriement de ses prisonniers allemands qui fut effectif le 28 novembre 1918 au départ de Grande Bretagne.

Les internés anglais en Suisse, au nombre de 1410, furent rapatriés du 17 au 20 décembre 1918.

Les Suisses transformèrent, dès le 1er janvier 1919, le statut des « blessés et malades en traitement » en celui de « militaires hospitalisés ». Ils décrétèrent le 31 janvier 1919 la fin de l’internement. Les internés malades et blessés intransportables des forces de l’Entente (190 Français, 25 Anglais et 22 Belges) furent regroupés à Leysin et Montana d’où ils furent rapatriés les 25, 28 et 30 avril 1919.

En définitive il restait en Suisse, 8 700 internés allemands et austro-hongrois, anciens prisonniers de guerre de la France et de la Belgique. Sous la pression de la Suisse, la France et la Belgique acceptèrent le 14 juillet 1919 – date symbolique - le rapatriement des internés allemands qui s’opérèrent, pour les derniers, du 1er au 12 août 1919.

 quelques chiffres

De 1916 au 11 novembre 1918 : 67 726 internés (militaires et civils) furent accueillis en Suisse, dont pour l’Entente (45922) : 37 515 Français, 4 326 Belges, 4 081 Anglais.

qui comptèrent 833 décès, dont pour l’Entente (626) : 490 Français, 74 Belges et 62 Anglais.

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